Ukraine : l’ancien président dans le viseur de la justice
Plus d’une dizaine d’enquêtes judiciaires visent Petro Porochenko, ravivant la crainte d’une répression politique en Ukraine.
C’est devant la porte en bois d’un musée de Kiev consacré à l’art folklorique ukrainien que s’est déroulée le 26 mai la plus récente passe d’armes entre l’ancien président Petro Porochenko et l’actuel chef d’État Volodymyr Zelensky. Convoqué le même jour par le Bureau d’Investigation d’État en tant que témoin dans une affaire d’importation illégale de tableaux, Petro Porochenko refuse.
Il préfère s’offrir un pied de nez aux autorités en annonçant au même moment l’ouverture d’une exposition contenant les 43 œuvres au cœur de l’affaire, accompagnés des déclarations douanières qui, d’après l’ancien président, prouvent leur conformité. Et lorsque les policiers cagoulés du Bureau d’Investigation d’État fracassent quelques heures plus tard la porte du musée pour remettre à Petro Porochenko une nouvelle convocation, l’ancien chef d’État s’est déjà envolé. Une déconvenue dont les caméras de télévision – notamment celles des chaînes Pryamiy et 5 Kanal, très favorables à l’ancien président –, n’ont rien perdu.
Une pression permanente
Bruit de fond permanent de la première année au pouvoir de Volodymyr Zelensky, la question du sort de son prédécesseur ne cesse d’agiter le monde politico-judiciaire ukrainien. Trahison lors de la signature d’accords de paix en 2015, nominations illégales de juges à la Cour Suprême, blanchiment d’argent, évasion fiscale : près d’une vingtaine d’enquêtes judiciaires ont visé Petro Porochenko depuis un an. Une pression constante qui remonte jusqu’au sommet de l’État : le 20 mai, Volodymyr Zelensky s’est dit lors d’une conférence de presse confiant qu’une condamnation de l’ancien président était «encore à venir».
« C’est une persécution politique », dénonce Daria Kaleniouk, directrice de l’ONG anti-corruption AntAC, pour qui les derniers scandales émanent « d’une Procureure Générale qui veut montrer sa loyauté envers le président ». Cité comme simple témoin dans la plupart de ces affaires, Petro Porochenko n’a pour l’heure jamais été inquiété directement, une situation que plusieurs analystes attribuent à la faiblesse des dossiers impliquant l’ancien chef d’État. Mais les commentaires du président ukrainien inquiètent les défenseurs des droits de l’homme.
Une affaire personnelle
Président, Volodymyr Zelensky n’a certes pas appelé ouvertement à l’emprisonnement de son prédécesseur. Mais le candidat Zelensky avait, en 2019, placé la condamnation des officiels corrompus au cœur de sa campagne, et « le printemps arrive, on va les mettre en prison » était l’un de ses tout premiers slogans électoraux. Petro Porochenko, impliqué au même moment dans une affaire de corruption, avait répondu en accusant le comédien de 42 ans d’affinités pro-russes.
Une campagne au vitriol à l’origine de l’animosité entre les deux hommes, estime Olexiy Haran, professeur de sciences politiques à l’université Mohyla de Kiev : « C’est très personnel, Zelensky voit Porochenko comme son ennemi numéro un. »
Très critique envers Petro Porochenko lorsqu’il était au pouvoir, Daria Kaleniouk craint aujourd’hui le « terrible signal » que représenterait l’arrestation de l’ancien président. « On a déjà vécu ça, lorsque Viktor Ianoukovitch [président de l’Ukraine de 2010 à 2014] a fait emprisonner Ioulia Tymoshenko », alors opposante politique. « Les gens savent reconnaître l’injustice, et on sait où se trouve Ianoukovitch aujourd’hui », continue-t-elle. Renversé lors de la révolution de 2014, il est depuis exilé à Moscou.